PRIMEURS 2024 - L'Eclat de l'adversitE
Les années se terminant par le chiffre 4 ont toujours eu la réputation de défier les vignerons, et 2024 n’a pas échappé à la règle. Une météo capricieuse s’est invitée dans les vignobles français, mettant à l’épreuve la patience et le savoir-faire des artisans de la vigne. Pourtant, ce millésime, annoncé comme incertain, se révèle aujourd’hui un témoignage éclatant de la résilience humaine et de la capacité d’adaptation face à la nature.
Le secret du millésime 2024 réside dans l’expérience accumulée au fil des décennies par les vignerons. En réponse aux caprices climatiques, nous avons su ajuster notre approche, renforçant les soins apportés à la vigne et veillant à une vinification méticuleuse. C’est cet équilibre fragile, entre savoir-faire ancestral et innovations modernes, qui a permis de transformer l’incertitude en une réussite inattendue.
UN CIEL EN PERPETUEL MOUVEMENT
2024 entre dans le top 3 des millésimes les plus humides depuis 1997. Bien que nettement supérieure au millésime 2021, la température moyenne annuelle est en retrait par rapport aux deux derniers millésimes qui demeurent à ce jour les plus chauds de notre ère. Les températures hivernales douces ont favorisé une certaine précocité de la vigne mais également une activation rapide du mildiou avec une intensité jusqu’ici rarement observée. L’été sec est marqué par deux épisodes caniculaires, sans impact sur l’aromatique des raisins. Cependant, la pluie n’en avait pas encore fini avec ce millésime, faisant son retour durant le mois de septembre.
Nous observons une sortie de grappes plus faible, avec un débourrement légèrement plus précoce que la moyenne. Les températures exceptionnellement fraîches au mois de mai ramènent la floraison à une date proche de la normale. Ces conditions combinées à l’humidité ambiante, ne sont pas sans dommages sur la floraison, provoquant une importante coulure, notamment sur les Merlots. Les températures de l’été plutôt sec sont conformes à la moyenne, mais inférieures à celles des derniers millésimes, et décalent la véraison d’une semaine.
LES CONDITIONS DE RÉCOLTE : NERFS A VIF
Le choix de la date de récolte est propre à chacune des zones parcellaires, c’est probablement pour nos équipes le choix le plus impactant sur la qualité finale des raisins que nous ferons entrer en cuves. Cette décision n’est pas à prendre à la légère, elle représente l’une des plus grandes plus-values du domaine.
Les premiers coups de sécateurs démarrent le 24 septembre pour les Merlots pour se terminer le 28 septembre. Les Cabernets Sauvignon débutent réellement le 30 septembre avec le retour du soleil. Retarder la récolte de quelques dizaines d’heures sur une parcelle permet de faire la différence, tutoyer la limite sans jamais franchir le point de non-retour, tel est notre état d’esprit lorsque nous dégustons les baies dans les parcelles tous les matins. Cette quête louable n’est possible qu’au prix d’un tri méticuleux et sans compromis, qui a représenté en 2024 jusqu’à 10% de la vendange. Perdre du volume pour ne garder que la pureté du fruit !
La récolte est très faible avec un rendement de 26 hl/ha. C’est un mal pour un bien, car il est plus aisé pour un pied de vigne dans un contexte climatique comme 2024, d’amener à maturité un nombre de grappe moindre. Les vendanges se déroulent sur 14 jours pour se terminer le 8 octobre.
AU CHAI : SANS CONCESSION
Posséder une chaine de tri de la vendange aussi performante que la nôtre est une arme redoutable en 2024, qui va bien au-delà d’une simple nécessité. Nous faisons le choix de réaliser des vinifications très douces, en quête de tanins veloutés, de rondeur et d’harmonie. L’équilibre est important pour contrebalancer une acidité plus marquée cette année, consécutive aux conditions climatiques du millésime.
Les teneurs en sucre ne sont pas trop élevées, compte tenu de l’augmentation de la taille des baies de Merlots sur le mois de septembre. Nous faisons donc le choix de les concentrer. La faible production ne nous aura pas détournés de nos objectifs qualitatifs. Il faut perdre encore un peu de volume pour obtenir plus de densité et plus de richesse dans nos vins. Paradoxalement, nos baies de Cabernets Sauvignon sont d’un poids anormalement bas en comparaison des Merlots… de bon augure pour nos assemblages !
CABERNET SAUVIGNON : COMME UNE EVIDENCE
Les assemblages commencent le 3 janvier 2025. Comme pour 2023, nous sommes agréablement surpris par l’homogénéité générale des lots. Les Cabernets Sauvignon tirent leur épingle du jeu, affichant une proportion de 84% dans cet assemblage. Cela ne nous surprend pas étant donné la taille relativement faible des baies dans le millésime sur ce cépage. En revanche les Merlots, aux baies plus grosses et ce malgré les opérations visant à augmenter leur concentration, n’ont pas réussi à convaincre. Ils ne représentent que 10% de l’assemblage faisant de ce millésime 2024 celui à la plus faible proportion de Merlot dans un vin de Lagrange. Le Petit Verdot joue à merveille son rôle d’outsider apportant couleur, structure et volume en milieu de bouche, sans oublier les notes poivrées très prononcées cette année. C’est le cépage médecin par excellence !
Les vins de presse sont très élégants, et constituent 11% de l’assemblage. Ils enrichissent le milieu de bouche tout en apportant à ce millésime une longueur et une dimension supplémentaire. Une attention particulière, un tri poussé et une vinification sur-mesure auront permis la prouesse de créer un grand vin subtil, aux tanins soyeux, à l’harmonie indéniable tout en offrant une large fenêtre de dégustation.
Ce millésime rappelle que la viticulture est un art de la résilience, une alchimie entre la nature et l’homme. Si les années terminant par le chiffre 4 ont la réputation d’être complexes, elles portent aussi en elles la promesse d’un vin qui transcende les obstacles pour capturer l’essence d’un millésime singulier. 2024 s’inscrit dans cette tradition, et nous offre des vins mêlant le classicisme bordelais et la modernité acquise dans la dernière décennie. Un millésime à savourer, mais surtout à célébrer, comme une ode à la persévérance et à l’ingéniosité humaine.